Conversation avec Claude Labat sur la mythologie basque
Les légendes, les contes, les mythes portent et transportent les sociétés humaines depuis la nuit des temps. Ces récits nous disent beaucoup sur notre propre nature mais aussi sur les territoires qui les hébergent. Aujourd’hui, nous allons parler de mythologie et plus précisément de mythologie basque.
Je suis Marion Hucbourg – Hernandez, fondatrice de l’agence Kanpo et j’ai l’immense plaisir de partager avec vous aujourd’hui cette conversation avec Claude Labat.
La mythologie ce n’est pas simplement des histoires racontées aux enfants pour les endormir, elle sert aussi à les garder éveillés.
Claude Labat
Présentation de Claude Labat
Marion : Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas Claude, tu es l’auteur de plusieurs ouvrages sur la mythologie et la sorcellerie en Pays basque, dont « Libre parcours dans la mythologie basque avant qu’elle ne soit enfermée dans un parc d’attraction ». On voit déjà dans ce titre tout l’engagement et le supplément d’âme que tu portes dans tes travaux de recherche.
Ton parcours est vraiment inspirant puisque tu as consacré ta carrière à naviguer entre art et science et j’aimerais beaucoup en guise d’introduction que tu nous présentes, qui es tu, ton cheminement et que tu nous racontes ce qui t’a mené à décortiquer avec autant d’attention la mythologie basque ?
La légende des « Laminak »
Marion : Pour rentrer dans le vif du sujet, pourrais-tu nous raconter la légende que tu préfères, ou du moins celle qui résonne le plus en toi.
Claude : C’est une légende de « Laminak », c’est-à-dire les petites femmes qui ont des pieds de canard et qui sont uniques.
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Les mythologies à travers le monde
Marion : Est-ce que tu pourrais nous dire ce que la mythologie basque porte de particulier par rapport aux autres mythologies : grecque, romaine, nordique etc.
Claude : Dans la mythologie basque, il n’y a pas de Dieu ni de Déesse. On retrouve souvent des représentations généalogiques des personnages de la mythologie basque, mais c’est faux. Ces personnages sont proches des humains et vivent sous terre. Ca c’est une spécificité locale. Ils sont régulièrement en contact direct avec les gens. Je trouve ça extraordinaire cette proximité, cela change beaucoup de choses.
Les personnages de la mythologie
Marion : Pourrais-tu nous dresser le portrait de quelques personnages de cette mythologie ?
Claude : Il faut savoir que la mythologie basque n’a pas de dieux mais elle a des lieux. Il y a les « laminak » par exemple qui occupent les grottes. Et il y a surtout la Dame, que l’on appelle « Mari » parfois, elle représente la nature. Ce personnage, grand et beau, sort de sa caverne pour traverser le firmament et rejoindre la montagne. C’est a cours de son trajet qu’elle va provoquer des orages ou phénomènes de pluie pour permettre aux cultures d’être irriguées. En ce sens, elle est très respectée. En montagne, on retrouve « Basajaun », une force de la nature couverte de poils protectrice de l’environnement. On retrouve à travers ces personnages, l’idée que la mythologie a un message à porter la société.
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Les récits datés
Marion : Est-ce que l’on sait placer ces récits dans le temps ? Avons-nous des dates attestés ?
Claude : La réponse est non. Je suis catégorique, nous n’avons pas de dates précises. C’est une mythologie qui est restée orale jusqu’au 19ème siècle. Mais ces récits sont certainement très anciens. Cela mérite d’approfondir les études à ce sujet.
Les cieux dans la mythologie
Marion : Comme tu l’as dit, cette mythologie est ancrée dans la terre, voire même sous terre, et elle porte un regard très particulier dès qu’elle lève les yeux. Peux-tu nous parler de la représentation des cieux dans la mythologie basque.
Claude : Le cosmos n’existe pas dans cette mythologie. Il n’y a que 2 éléments qui proviennent de la Terre pour partir dans les firmaments : ce sont le soleil et la lune. Ces représentations terrestres disent beaucoup de l’importance de la maison basque « l’etxe ». La maison fait l’homme et l’homme fait la maison.
Qui conte les histoires mythologiques ?
Marion : Qui racontait ces histoires ? Est-ce que c’était Amatxi (la grand mère en basque), tout le monde, les personnes qui connaissaient le mieux ces histoires ?
Claude : Dans la plupart des pays européens on raconte que c’est la grand mère qui véhicule les histoires. Je ne sais pas si c’est vrai. C’est possible, mais je crois que la mythologie ce n’est pas que des légendes, c’est aussi la manière de vivre. Et puis surtout, on sait aussi qu’on éduquait à partir des légendes. Donc à l’époque on se retrouvait autour du travail, et c’était l’occasion de partager ces mythes. Donc je dirais que tout le monde pouvait raconter ces histoires. Les adolescents étaient conviés à ces veillées de voisinages. C’était une manière de se rencontrer, de s’amuser, la mythologie apporte de l’extraordinaire .
La mythologie en tant qu’être humain
Marion : Les récits mythologiques vont bien au-delà d’une simple histoire à raconter. Selon toi, qu’est-ce que la mythologie dit de nous en tant qu’être humain ?
Claude : Les personnages de la mythologie basque considèrent que les humains sont leur égal. Dans tous les récits, ils communiquent entre eux, ils sont capables de s’entraider. Cette relation est particulièrement forte avec les « laminak ». Toutes ces entités font partis du monde. Encore aujourd’hui, nous avons besoin de ces récits. La question des influences importe peu.
La mythologie de nos jours
Marion : Ces mythes portent une dimension à la fois terre-à-terre et spirituel. Que penses-tu qu’on puisse en faire aujourd’hui, comment on peut s’imprégner de ces histoires ? Est ce qu’il faut les écouter, les raconter, ce qu’il faut aller sur des lieux précis ? Comment on peut intégrer un peu tout ce patrimoine à l’heure actuelle ?
Claude : Je pense que la mythologie se rencontre dans des lieux de nature, en particulier en forêt. Personnellement, j’aime me reposer seul en montagne et me laisser la liberté d’inventer des histoires. La mythologie est aussi un outil de partage. En groupe, elle a une valeur de recueillement et peu aider à apporter du bien être. Il faut rendre hommages aux lieux porteurs de mythologies
Les liens entre mythes et rites
Marion : On a parlé beaucoup des mythes que l’on raconte. Est-ce qu’il y a des pratiques qui étaient ou qui sont associées à ces mythes ? Quel est le lien finalement entre les mythes et les rites ?
Claude : C’est une question complexe. Je pense que les mythes créateurs de légendes ont pu donner lieu à des rites. Il faut voir les choses simplement, mythes, rites, légendes, mais aussi la société toute entière est animée par l’idée de vivre correctement. Pour moi la mythologie a ce rôle de soudre la société, et ce, pour tous les âges La mythologie ce n’est simplement des histoires à raconter aux enfants pour les endormir, elle sert aussi à les garder éveillés. Et nous sommes de grands enfants.
La mythologie basque & son rapport au sacré
Marion : J’aimerais que tu nous dises comment la mythologie basque décrit son environnement naturel. A travers cette question, je voudrais savoir si elle lui porte un regard uniquement sacré ou si elle raconte plus des choses utilitaires face aux ressources naturelles.
Claude : Quoiqu’il en soit, les ressources naturelles sont sacrées. A certaines époques, la religion a tenté de réduire des parties de la mythologie mais elle n’y est jamais arrivé. Il y a même des récits de prêtes du 19ème siècle racontant que les « laminak » sont petits singes, remplis de poils, on voulait en faire des démons. La mythologie ne casse pas de cette manière-là. Le sacré se trouve dans la nature. Aujourd’hui, on commence à le reconnaître. Ce n’est pas de la morale.
« Libre parcours dans la mythologie basque avant qu’elle ne soit enfermée dans un parc d’attractions », ouvrage de Claude Labat
Les paysages racontent la formation de la terre, la force des éléments, l’apparition de la vie et les étapes de l’aventure humaine jusqu’à l’urbanisation actuelle… Différentes approches scientifiques nous aident à comprendre ces espaces qui constituent notre cadre de vie. Mais, en suivant les balises appelées mythes, on découvre aussi qu’ils nous façonnent intimement.
Claude Labat